Capsule temporelle - Charles Frederick Worth


Article par Caroline Paquette-Méthé


Quand on regarde la mode d’aujourd’hui, on peut voir une industrie en constant mouvement, basée sur la production en masse de vêtements et d’accessoires accessibles à tous. La haute couture, summum de l’art vestimentaire, brille par la diversité et l’innovation de ses créateurs. Cependant, la mode n’a pas toujours été ainsi : il fut un temps où tout était fait à la main et où les couturiers étaient des artisans au service de leur clientèle. Ce n’est qu’au XIXe siècle que la place du vêtement dans la société passe de simple objet décoratif et pratique au statut d’œuvre d’art. C’est à Charles Frederick Worth que l’on doit cette innovation qui bouleversera l’industrie de la mode.

SES DÉBUTS

Photographie de Charles Frederick Worth prise par Nadar en 1892

Photographie de Charles Frederick Worth prise par Nadar en 1892

C’est en Angleterre, son pays natal, que Charles Worth fait ses premiers pas dans le monde de la couture. Il travaille d’abord comme apprenti chez Swan & Edgar où il vend du tissu et de la passementerie (rubans, dentelles et autres ornements textiles) en plus de donner des conseils sur les dernières tendances. Puis, il travaille chez Lewis et Allenby, fournisseur officiel de soie pour la reine Victoria. C’est dans ces magasins que Worth développera non seulement une excellente connaissance des tissus mais aussi son sens aigüe du commerce.

Il quitte l’Angleterre pour la France en 1845 et commence à travailler chez Gagelin-Opigez et Cie. Charles ne manque pas d’initiative et devient rapidement premier commis en plus d’ouvrir une division couture dans laquelle il propose à sa clientèle un choix de robes en mousseline qui sont ensuite confectionnées sur place avec le tissu du magasin. Après avoir participé et gagné plusieurs concours dont l’exposition universelle de 1851 et celle de 1855, Worth décide de fonder sa propre maison de couture en association avec Otto Bobergh.

Portrait de Madame George Charpentier avec ses enfants peint par Auguste Renoir en 1878.  Il était courant que les nouveaux riches deviennent, comme les aristocrates avant eux, des protecteurs des arts. En plus des talents de Renoir, on peut ad…

Portrait de Madame George Charpentier avec ses enfants peint par Auguste Renoir en 1878.  Il était courant que les nouveaux riches deviennent, comme les aristocrates avant eux, des protecteurs des arts. En plus des talents de Renoir, on peut admirer ceux de Worth qui a créé la robe de madame

SA PREMIÈRE INVENTION

C’est là que se trouve la première innovation de Charles Frederick Worth : en créant ainsi une maison de couture à son nom et en apposant sa signature sur chacune des robes qu’il crée, il invente du même coup le principe de la marque, concept jusque là inexistant dans l’industrie du vêtement. Fort de ses connaissances techniques et de son expérience de vente, Worth conquiert en un rien de temps le cœur des aristocrates, de la royauté de toute l’Europe et même des nouveaux riches d’Amérique en imposant ses propres goûts dans un monde qui était autrefois dirigé par les marchandes de mode, spécialisées dans l’ornementation des vêtements déjà existant et des accessoires.

Étiquette signée Charles Frederick Worth

Étiquette signée Charles Frederick Worth

[...] en créant ainsi une maison de couture à son nom et en apposant sa signature sur chacune des robes qu’il crée, il invente du même coup le principe de la marque, concept jusque là inexistant dans l’industrie du vêtement.

MERCI À SA FEMME

Charles Worth doit cependant un grand merci à sa femme, Marie Vernet, qui aurait proposé à la femme de l’ambassadeur d’Autriche, la Princesse de Metternich-Winneburg, certaines de ses robes, sachant pertinemment qu’elle rencontrerait l’Impératrice de France, Eugénie de Montijo. Celle-ci, désireuse d’encourager l’industrie française et séduite par le luxe des robes de Worth, en fait son couturier officiel et commande non seulement ses robes de soirée chez lui, mais aussi certaines robes de cérémonie. Avec ce nouveau statut, Charles impose son autorité et est libre de faire ce qu’il veut. Ainsi survient la deuxième innovation : le couturier ne se déplace plus chez ses clientes, maintenant, ce sont elles qui viennent le visiter dans son atelier.

Portrait de l’Impératrice Eugénie de Montijo  habillée en Worth réalisé par Edouard Louis Dubuf en 1853.

Portrait de l’Impératrice Eugénie de Montijo  habillée en Worth réalisé par Edouard Louis Dubuf en 1853.

[...] le couturier ne se déplace plus chez ses clientes, maintenant, ce sont elles qui viennent le visiter dans son atelier.

RÉINVENTER LA SILHOUETTE

Cette robe d'après-midi créée en 1889 est un exemple de la silhouette princesse.

Cette robe d'après-midi créée en 1889 est un exemple de la silhouette princesse.

D’un point de vue technique, Worth fait évoluer la silhouette féminine en inventant la « tournure » qui permet de donner du volume à l’arrière de la robe. Il crée également la silhouette dite princesse, en l’honneur de la Princesse Alexandra de Danemark, qui consiste, plutôt que d’avoir un corsage cousu à la jupe, à coudre ensemble de longs panneaux de tissu allant de l’épaule jusqu’à l’ourlet. La silhouette ainsi obtenue est ajustée à la taille et à la poitrine. Ces deux créations contribueront à rendre désuète la crinoline circulaire qui prévalait durant la période victorienne. Il a également eu l’idée de créer des robes aux corsages interchangeables, permettant de passer de robe d’après-midi à robe du soir en un clin d’œil.

Dessins de différentes tournures.

Dessins de différentes tournures.

LES PREMIERS MANNEQUINS

Worth a aussi changé la façon dont la mode est présentée aux clientes. Puisque, dorénavant, il présente ses créations à ses acheteuses dans le confort de son atelier, il n’a plus besoin de la communication indirecte des magazines ni d’envoyer des poupées habillées par la poste. Il propose pour la première fois de l’histoire deux collections par année, soit celle du printemps/été et celle de l’automne/hiver, qu’il s’amuse à mettre en scène sous la supervision des vendeuses. L’ancêtre du défilé de mode était né. Il est le premier créateur à avoir recours à des mannequins vivants pour présenter ses robes. Sa femme, Marie, est d’ailleurs le tout premier mannequin de l’histoire.

Désireux de protéger ses acquis et son industrie, Charles fonde en 1868 une association des maisons de couture, la Chambre syndicale de la couture et de la confection pour dame, destinée à règlementer et protéger les œuvres des couturiers parisiens. Son fils, Gaston Worth, renforcera les pouvoirs de celle-ci qui sera renommée plus tard la Chambre syndicale de la haute couture et qui existe toujours aujourd’hui.

Cette robe portée par Esther Chapin possède trois corsages différents qui permettent de la transformer en robe de diner, en robe de bal ou en robe de présentation à la cour.

Cette robe portée par Esther Chapin possède trois corsages différents qui permettent de la transformer en robe de diner, en robe de bal ou en robe de présentation à la cour.

LE PÈRE DE LA HAUTE COUTURE

Charles Frederick Worth a fait bien plus que de contribuer à la mode, il en a révolutionné le fonctionnement en repensant la place même du vêtement et du couturier dans la société. Grâce à son savoir-faire hors pair, à la qualité de ses coupes et de ses matériaux, le caractère exclusif de ses œuvres et son sens du commerce, il a fait passer le couturier d’artisan anonyme à artiste accompli. C’est grâce au luxe de ses créations sur mesure que les termes de haute couture apparaissent. Worth est d’ailleurs considéré comme étant le père de la haute couture française.

Portrait de l'impératrice Sissi par Franz Xaver Winterhallter où l'on peut admirer l'une des créations de Worth très représentative de la silhouette à crinoline.

Portrait de l'impératrice Sissi par Franz Xaver Winterhallter où l'on peut admirer l'une des créations de Worth très représentative de la silhouette à crinoline.


Article par Caroline Paquette-Méthé